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CMPP EN NOUVELLE-AQUITAINE :

Le Cahier des Charges de l'ARS NOuvelle-Aquitaine : une mascarade

 

 

David SOFFER*

Article paru dans le N° 270 de La Lettre de Psychiatrie Française page 6 à 8

Le 31 décembre 2019 l’Agence Régionale de Santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine adresse un cahier des charges régional sur « l’évolution de l’offre des Centres Médico-Psycho-Pédagogiques (CMPP) en Nouvelle-Aquitaine ».

Ce document de 38 pages fait l’objet d’une présentation par le directeur délégué à l’autonomie, M. Said ACEF devant les instances gestionnaires de CMPP (29 CMPP disposant de 46 antennes dans les 12 départements de la région). La rédaction de ce document n’a été précédée d’aucune réunion préparatoire, d’aucune rencontre préalable avec les équipes soignantes de terrain. Pourtant ce cahier des charges prévoit une transformation brutale des CMPP.

Ils devront en trois mois transmettre un plan d’action de « mise en conformité » suivi d’un changement de pratique en neuf mois !

Ce cahier des charges s’inscrit en continuité avec les instructions(1) et circulaires ministérielles(2) sur la mise en oeuvre des PCO (Plateforme de Coordination et d’Orientation). Notre collègue Anne Delègue dans un article paru en décembre(3), nous avait alerté sur les écueils de ces deux textes réglementaires. En conclusion de son texte, ses inquiétudes ne sont que renforcées par la lecture de ce cahier des charges qui impose aux CMPP de Nouvelle-Aquitaine une transformation en plateformes :
– de « services » pour une population d’enfants ou adolescents présentant des troubles dits « légers » ;
– de « ressources médico-sociales » pour les enfants ou adolescents présentant des troubles neurodéveloppementaux donnant lieu à une compensation individuelle par l’intermédiaire de la MDPH.

La forme et le ton injonctif et comminatoire du document soulèvent une forte indignation parmi les professionnels alors qu’il prétend améliorer la qualité des prises en charge des enfants ou adolescents présentant ou non des troubles neurodéveloppementaux.

Les moyens employés pour atteindre ces objectifs posent de nombreuses questions. Les contradictions ne manquent pas, l’utilisation parcellaire du rapport de l’IGAS sur les CMPP est caricaturale. Alors que ce rapport se montre très défavorable aux dispositifs de soins par pathologie, le projet de l’ARS Nouvelle- Aquitaine repose justement sur la constitution de filières de soins où l’offre des « CMPP devra permettre un renforcement de l’intervention auprès des enfants avec troubles du neurodéveloppement ».

Dans cette nouvelle organisation, les services réservés aux « troubles légers » se résument à un renforcement des liens avec les RASED en voie d’extinction ou « des interventions directes auprès de l’enfant et en milieu ordinaire (école) en lien avec les services de l’Éducation nationale ». Mais de quels services s’agit-il ?

En vérité, cette nouvelle organisation vise à repositionner l’offre des CMPP et « accroître leur degré d’expertise en matière de troubles du neurodéveloppement ».
Les populations d’enfants et d’adolescents ainsi divisées en troubles légers et TND relevant de la MDPH n’existent pas sur le terrain, la co-morbidité est très grande, les parcours évolutifs variés. Il faut parfois très longtemps pour déterminer ce qui est primaire de ce qui est secondaire, spécifique ou non spécifique. Sur quelles études scientifiques sérieuses autres qu’un recueil de données à la méthodologie discutable se base cette distinction ? Beaucoup de CMPP se sont enrichis des apports des neurosciences en matière de troubles neurodéveloppementaux. Nombreuses sont les équipes engagées dans des formations, pour diversifier et améliorer leur palette d’intervention en fonction de leur population. Vouloir uniformiser les pratiques pour des territoires et des populations qui ne le sont pas est plus qu’une utopie, c’est une aberration. N’est-ce pas un moyen de disqualifier une population non TND comme on disqualifie les professionnels qui s’en occupent pour détourner les moyens financiers vers des pathologies TND mieux représentées et soutenues – à juste titre – par des associations de parents ? La disparition de toute approche globale ou intégrative au-delà d’un non-sens est une perte de chance pour les patients et leur famille. Nous assistons donc à une réorientation des soins vers les patients souffrant de TND. Cette orientation questionne sur le plan éthique, voire constitutionnel, l’égalité d’accès aux soins(3) : quel sort réserve-t-on aux pathologies ne relevant pas de la MDPH ? Seront-elles les oubliés du projet, ou deviendront-elles après diverses évaluations elles aussi TND ou, à tout le moins, conduites à s’inscrire dans le circuit du handicap pour pouvoir bénéficier d’une prise en charge ? Nos brillants décideurs ont oublié que les conditions d’accès aux soins peuvent influencer la prévalence d’un diagnostic car « les professionnels ont tendance à poser le diagnostic d’autisme (même en cas de doute) pour que les parents puissent bénéficier d’aides éducatives pour leurs enfants »(4).

Le cahier des charges détaille les modalités d’accompagnement et les prestations délivrées par les CMPP. La place de l’enfant et de sa famille est rappelée mais, là encore, c’est surtout la place de la famille qui est prépondérante, sans nuance : l’expertise d’usage des parents (soulignée dans le texte) devra être reconnue, pendant que les professionnels semblent être des ignorants patentés. L ’accompagnement des parents eux-mêmes n’est manifestement plus un sujet. Plus loin, on rappelle en caractère gras que « le secret médical n’est pas opposable aux parents » sans aucune pondération ou mention de l’article (article L. 1111-5 du code de la santé publique) qui prévoit un droit au secret des soins pour les mineurs(5) !

Enfin toute procédure d’information préoccupante devra être pesée à l’aune de l’aide réelle apportée par le CMPP supposant sans détour que les professionnels auraient tendance à abuser de cette procédure. La disqualification des pratiques amène inéluctablement à la disqualification des équipes. Le projet personnalisé global et coordonné avec la famille devra être élaboré selon des directives bien précises. Sa composition prévoit un axe éducatif, neuropsychologique et médical sans la moindre mention d’un bilan pédopsychiatrique. Il répond sans doute ici aux récentes déclarations de la secrétaire d’État chargée des Personnes Handicapés de ne plus placer d’enfants autistes « devant des psychiatres ».

Le volet évaluation du projet personnalisé nemanque pas. Cette évaluation sera régulière et de qualité, « elle devra envisager des suites possibles, voire les relais vers d’autres accompagnements, si besoin est. En conséquence, au-delà de ses propres ressources, le CMPP devra mobiliser les ressources externes à la structure dans l’optique de permettre le passage de relais ». Mais, là encore de quels relais s’agit-il ? Les CMP-IJ saturé ? Les professionnels libéraux débordés ? Si les directions de CMPP seront doubles médicales et administratives, le « choix de l’organisation de la direction relève de l’organisme gestionnaire ». À n’en pas douter, ce ne sera pas au profit d’une direction médicale. Les associations gestionnaires voient s’exercer une pression intenable du fait de la brutalité des changements à mettre en oeuvre dans les délais impartis. À l’heure où, selon la feuille de route santé mentale et psychiatrie, « la souffrance psychique au travail est devenue un problème de santé publique », à l’heure où une attention particulière est portée sur les professionnels de santé et médico-sociaux, ce document est un parfait exemple de la duplicité de posture dont peuvent se rendre coupables nos tutelles. La résistance aux changements notamment paradigmatiques n’est pas propre aux CMPP mais plutôt que de disqualifier leurs pratiques en les caricaturant et en opposant de façon clivante des approches qui devraient être intégratives et s’enrichir mutuellement, les équipes des CMPP mériteraient qu’on leur oppose/propose une critique constructive.

Les CMPP travaillent déjà au plus près, et avec, les parents. Ils interviennent dans le registre de la prévention notamment des complications de situations de crise chez l’adolescent par exemple (troubles des conduites, addictions, etc…) en offrant des dispositifs souples et adaptatifs à ces populations qui ne pourraient s’engager dans des parcours trop rigides ou contraignants.Pour leur place et leur engagement dans la prise en charge des enfants et adolescents depuis plus d’un demi-siècle, ils ne méritent pas ce traitement indigne. Les équipes en place vont se trouver malmenées par des réformes qui n’ont pas été coconstruites, qui ne tiennent pas compte des disparités locales des CMPP et de la variété de leurs pratiques propre à leur histoire ou à leur lieu d’implantation. Si les CMPP ont une culture commune développée à partir de leurs textes réglementaires, ils ont toujours fait preuve d’une grande créativité pour adapter leur offre au plus près des besoins de leur population.

Dès son origine (Centre Claude Bernard, 1946) ce projet collectif a fait se rencontrer des acteurs très différents pour une coopération étroite, pluridisciplinaire, associant pédagogie, psychanalyse, psychiatrie, pratiques rééducatives (orthophoniques, psychomotricité, etc…) dans un contexte de volonté politique humaniste. Il fallait sortir les enfants « inadaptés » de l’exclusion ou des lieux de maltraitances auxquels ils étaient condamnés faute de lieux de soins. Le rapprochement tout à fait inédit et innovant de l’éducation et de la santé est une spécificité toujours actuelle des CMPP dont l’objectif était de solutionner l’inadaptation des jeunes ; l’idée forte étant de les maintenir dans leur environnement d’origine sans les stigmatiser. Depuis les CMPP n’ont cessé d’oeuvrer vers une société toujours plus inclusive, multipliant des partenariats et des coopérations locales avec CAMSP, PMI, CMP, ASE, ITEP, IME, sans oublier une coopération étroite avec l’école dont ils étaient les interlocuteurs privilégiés pour lutter contre les ruptures de parcours scolaires liés aux difficultés d’apprentissages. Par ailleurs, les CMPP sont inscrits depuis longtemps dans une culture de l’évaluation (interne, externe, enquêtes de satisfaction, etc…) pour rester au plus juste des attentes de leur population. Leur créativité est aujourd’hui balayée pour laisser place aux approches standardisées et aux lectures réductrices et partielles de l’Evidence Based Medecine. Ainsi on découvrira que selon l’ARS Nouvelle- Aquitaine les Recommandations de Bonne Pratique (RBP) deviennent obligatoires. Il est précisé aux CMPP que le respect de ses bonnes pratiques est « la condition première de poursuite de leur activité ». Les CMPP devront mettre leurs pratiques en « conformité totale » avec les Recommandations de Bonne Pratique professionnelle de la HAS. Rappelons ici que selon l’HAS, les RBP « ne sauraient dispenser le professionnel de santé de faire preuve de discernement dans sa prise en charge du patient qui doit être celle qu’il estime la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations »(6). En d’autres termes et n’en déplaise à nos administrations, les RBP ne sont pas opposables ! Rappelons enfin, que l’article 95 du code de déontologie est limpide, il impose au médecin de veiller à exercer la médecine en toute indépendance vis-à-vis de l’organisme qui l’emploie. En aucun cas les RBP ne sauraient être opposables ou obligatoires. Ce dévoiement d’un travail scientifiquement rigoureux et prudent, n’est pas acceptable. Vouloir porter haut des convictions et un idéal ne protège pas d’une dérive idéologique dans sa pire acception. Ce qui vaut pour la psychanalyse selon ses détracteurs, ne garantit pas que les théories neurodéveloppementales en soient exemptes. Certaines dérives « scientistes » confondent causalité et corrélation. L ’enfant, en tant que personne, pourrait disparaître derrière son neurocerveau !

La sacralisation du DSM 5 par une autorité administrative, au mépris de nombreuses mises en garde par différents auteurs, est particulièrement inquiétante voire incompréhensible.

Ce cahier des charges illustre l’obscurantisme de ceux-là même qui entendent le dénoncer au mépris d’une histoire dont la pédopsychiatrie française n’a pas à rougir. Cette dernière a compté dans ses rangs de nombreuses figures humanistes qui ont contribué à son développement, à sa richesse et à une meilleure compréhension des différents facteurs intervenants dans le parcours développemental d’un enfant. Il est grand temps que nos décideurs cessent de jeter le bébé avec l’eau du bain.

* Secrétaire Général du Syndicat des Psychiatres Français

(1) INSTRUCTION INTERMINISTÉRIELLE N° DGCS/SD3B/DGOS/DSS/DIA/2019/179 du 19 juillet 2019.
(2) CIRCULAIRE N° SG/2018/256 du 22 novembre 2018.
(3) La Lettre de Psychiatrie Française, N° 268, décembre 2019. Delègue A.« Les POC : quels soins pour les enfants ? ». ON EN PARLE.

(4) Brigitte Chamak. AU-DELÀ DE L ’ÉVIDENCE : L ’EXEMPLE DE L ’AUTISME. Abel Guillen. Essais d’épistémologie pour la psychiatrie de demain, ÉRÈS, pp. 51-65, 2017, 9782749254012.halshs-01470200.
(5) https://www.conseil-national.medecin.fr/medecin/prise-charge/patientmineur

(6) https://www.has-sante.fr/jcms/c_418716/fr/methodes-d-elaborationdesrecommandations-de-bonne-pratique

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