N° 1/15 : Le Narcissisme I

EDITORIAL

Alain KSENSEE

Le comité de rédaction de la revue Psychiatrie Française a décidé d’accorder une place importante au narcissisme. En effet, ce sont deux numéros qui vont tenter d’approcher ce concept introduit par la psychanalyse, dans le champ de la clinique psychiatrique. Ce premier numéro tente une approche avant tout clinique. Nous avons souhaité éviter les enjeux théoriques qui ont présidé à bien des « joutes » qui ont marqué les oppositions des différentes écoles psychanalytiques ; des « oppositions » trop souvent « gouvernées » par le narcissisme de leurs auteurs ! L’article Georges Khiel révèle toute l’ampleur de la dimension narcissique à l’œuvre dans l’alcoolisme. Il s’agit d’un article d’un très grand intérêt clinique qui met en évidence l’importance d’une écoute institutionnelle et intersubjective, dont le fondement est psychanalytique. Cet article d’une richesse peu commune sait nous faire partager la singularité de la clôture narcissique de ces patients. L’article de Lou Andréa Salome permet de mesurer l’importance du concept et sa richesse. Il suffit à un lecteur même non averti de le mettre en perspective avec la réflexion d’André Green et de Béla Gruberger pour saisir toutes les contradictions des approches théoriques qui demeurent au cœur de la théorie psychanalytique. Cet article soumis à la lecture si ce n’est à l’approbation de Freud fut accepté avec quelques réticences quant à son fondement théorique, mais pleinement agréé quant à son efficience thérapeutique potentielle. Dominique Bourdin nous montre parmi d’autres réflexions d’une très grande profondeur comment une idéalité bien particulière peut conduire certains soignants à ne jamais renoncer à « soigner ». Ces « soignants » engagent ainsi toute leur vie affective dans un « métier » : celui de soigner un objet « social » ou interpersonnel. Cet article permet entre autres, de saisir une pathologie que nous retrouvons souvent dans les équipes soignantes, voir dans certains cabinets de psychothérapeutes, dans certaines cures psychanalytiques interminables. Nous avons choisi deux articles de Paul-Claude Racamier (le deuxième article sera publié dans le numéro suivant) qui de façon simple et vivante souligne le caractère dynamique du narcissisme et la manière dont l’utilisation d’une autre personne (conjoint, patient...) permet une forme de rétablissement narcissique au détriment du narcissisme d’un alter-ego. Le premier article situe chaque manifestation pathologique comme une tentative de rétablissement narcissique d’une agonie psychique initiale. Ce premier article aux accents Winnicottiens permet d’appréhender le délire psychotique dans un autre cadre fixé par les différents DSM et la nosographie psychiatrique classique. Il introduit le concept de perversion narcissique. Ce dernier connaît une « fortune » médiatique surprenante. Est-ce parce que la sexualité infantile à la différence des perversions sexuelles semble absente ? Quoiqu’il en soit des apories théoriques éventuelles, la notion de séduction narcissique originaire semble incontournable pour approcher et traiter certaines distorsions relationnelles intersubjectives. Ce concept est le fondement de l’approche clinique et théorique de l’article d’Élisabeth Lévy. L’auteure par la place qu’elle donne aux propositions du regretté Jean Laplanche, nous donne à penser que le signifiant énigmatique constitue une blessure narcissique inévitable qui contribue à la fermeture d’un Moi originaire ouvert et sans véritable frontière. Enfin, l’article de Maurice Berger est issu d’une très grande expérience clinique et d’une grande vérité car il évoque les limites et les échecs du nouvel environnement que nous tentons de créer avec des patients souvent jeunes ; de jeunes « malades » où la misère sociale (mais pas toujours) dissimule une misère narcissique sans recours. L’ensemble de ces contributions révèle combien le traitement des atteintes narcissiques imposent toujours une certaine attitude de soutien et une difficulté particulière souvent contradictoire avec une visée thérapeutique qui tente souvent de permettre au malade d’affirmer un « moi-je » susceptible d’accueillir la réalité subjective d’une autre personne, sans « déchoir » de lui-même.

SOMMAIRE :

• Alain KSENSEE : Éditorial, p.3
• Alain KSENSEE:  Avant-propos, p. 5
• Georges KHIEL : La bulle narcissique des dépendances, p.9
• Lou ANDREAS SALOMÉ : Le narcissisme comme double direction (1921), p.21
• Dominique BOURDIN : Note sur la compulsion à soigner l'autre, p, 53
• Paul-Claude RACAMIER : Entre agonie psychique, déni psychotique et perversion narcissique, p. 63
• Élisabeth LÉVY : Travail ile la séduction narcissique primaire sous l'égide de l'Oedipe, p.75
• Maurice BERGER : Séduction narcissique et violence, p. 97

LE PSYCHOPOLITAIN

• Youth, de Paolo Sorrentino, film analysé par Sabine FRIESS, p.107 .
• Tsili, d'Amos Gitai, film analysé par Monique BYDLOWSKI, p. 108

ENVIES DE LIRE

• L’enfant impossible, de MI-Kyung Yi, ouvrage analyse par Maya EVRARD, p. 111
• Petits oiseaux, de Yoko Ogawa, ouvrage analysé par Lydia LIBERMAN-GOLDENBERG, p. 114
• Adolescence et Djihadisme, de Philippe Gutton, ouvrage analysé par Monique BYDLOWSKI, p. 116