N°1/11 : Et si on parlait de la psychanalyse en Amérique du Nord

EDITORIAL

Yves MANELA

Il est évident depuis quelques années que les décideurs (j‘englobe politiques, administrateurs et financiers) ont cherché des modèles de réorganisation de la médecine et de notre discipline, la psychiatrie. Le premier de ces modèles, ils l'ont trouvé dans les modes de restructuration de l’organisation industrielle et dans le « management » des services en général. Le second s'est révélé plus suspicieux : les professionnels de santé dépensent l'argent et sont les gaspilleurs, donnons le pouvoir aux administrateurs ! Ceci a d'ailleurs été évident pour nombre de services comme le téléphone, les transports et bien d'autres. Le troisième est plus technique, européen et occidental par comparaison des différentes médecines : une usine à gaz coûteuse appelée accréditation puis certification pour vérifier certains points- importants des services de soins, mais aussi un exemple parfait d'envahissement par l’idéologie extensive du principe de précaution et probablement des apparences. Le quatrième est classificatoire et s'inspire par deux voies des USA : par décision administrative de cotation des maladies mentales et par vent d'est plus ou moins fort qui nous amène de nouvelles façons de pensée la symptomatologie et les traitements.

De plus l’idée générale est contradictoire, dépenser moins, mais améliorer la qualité sur l'ensemble des départements français.  Dans notre profession, le matériel est si j'ose dire humain et il existe une correspondance malheureusement étroite entre moyens humains défaillants et augmentation des prescriptions pharmacologiques.  Formation en nombre suffisant, répartition en unités pas trop grandes, amélioration des secteurs, articulation avec les cabinets privés, importance du personnel soignant et travail institutionnel restent les clefs du travail psychiatrique. L'idée même du dispositif en gare de triage ou en routeur des chemins de traitements par type et diagnostic ne peut s'appliquer à une psychiatrie humaine. Pensons à tout ce qui s'est passé autour de l'autisme par manque notoire de dispositifs de soins surtout des adolescents et des adultes.

Il est vraiment étrange que nous mobilisions si peu l'ensemble des soignants autour de ces changements. Il faut dire que la tactique qui empile nouvelle réforme sur nouvelle circulaire donne le vertige et que la communication politique est très habile à sa façon pour masquer les réalités.

L'exemple du diplôme de psychothérapeute me préoccupe : il est basé sur une qualification préalable et une quantité d'heures pas si importante de formation. De longues discussions avec des psychanalystes et des formateurs en psychothérapie familiale ont abouti à la conclusion d'une sensibilisation à une discipline plutôt qu'une formation. Ce sera un problème considérable étant donné le nombre d'années nécessaires pour former à de telles disciplines quand il s'agit d'un diplôme et non d'une auto proclamation. Que dirions-nous si les études de chirurgie étaient du jour au lendemain deux fois plus courtes ou si la médecine était enseignée en deux ans. Espérons que la formation soit prise au sérieux par les futurs psychothérapeutes et qu'ils s'adressent à ceux qui leur proposeront une formation plus longue et réelle.

Je terminerai par une anecdote. Quand on voyageait au Japon il y a une vingtaine d'années (depuis ce n'est plus vrai tant le changement est grand) nos hôtes pour nous faire plaisir, croyaient-ils, nous avaient plusieurs fois invité dans des restaurants français simples. Le repas était invariablement le même et étrange. Il commençait par une vichyssoise (soupe froide à base de pommes de terre), suivie d'un tournedos sauce madère et se terminait par une crème caramel. Ce repas étrange et peu goûteux était une caricature de cuisine française que les visiteurs actuels seraient bien en mal de retrouver étant donné le développement actuel de la gastronomie au Japon.

Nous nous sommes demandé si nous ne faisions pas la même chose avec la psychiatrie américaine malgré les communications faciles et nombreuses. Aussi a\rons-nous essayé de vous proposer des commentaires de différents professionnels américains quant à leur exercice actuel de leur métier.

SOMMAIRE

• Serge TISSERON : Curiosités de cabinet, p. 3
• Yves MANELA : Éditorial, p. 5
• Daniel WIDLÔCHER, J.-M. THURIN : Le Manuel Diagnostique Psychodynamique : intégrer dans une perspective nosologique les apports d'une psychopathologie dynamique, p. 7
• Keith HUMPHREYS, Ira D. GLICK : La psychiatrie américaine, interviews d'acteurs. Propos recueillis par Thomas VILLEMONTEIX, p.19
• Daniel CARLAT : Psychothérapie plutôt que chimiothérapie, p. 38
• Monique BYDLOWSKI : La Psychanalyse américaine à la conquête du marché chinois. Le transfert en vidéo transmission, p. 47
• lsabelle LAFFONT : Thérapie existentielle : « La méthode lrvin Yalom », p. 53
• Simon PATRY : Psychothérapie interpersonnelle et dépression majeure : quand les événements sont vecteurs d’émotions, p. 64

AINSI VA LE MONDE

• La nouvelle de Pierre SULLIVAN - Chapitre XLII, p. 81

LE PSYCHOPOLITAIN

• Tomboy, un film de Céline Sclamma, analysé par Pierre SULLIVAN, p.86.
• La petite chambre de Stéphanie Chuat et Véronique Reymond, analysé par Monique BYDLOWSKI, p. 87.
• Représentations de la psychiatrie pour le grand public américain analyse de la série, « In treatment », par Monique BYDLOWSKI, p. 89.
• L'algorithme nocturne d’Hemingway, par Nunzio D'ANNIBALE, p.91.

ENVIES DE LIRE

• Évaluer les psychoses avec la COP 13 de Victor Souffir, Serge Gauthier, Bernard Odier, ouvrage analysé par Marc HAYAT p. 95.
• Ce qui a dévoré nos cœurs de Louise Erdrich, ouvrage analysé par Aliénor d'ARTHUYS, p. 98.
• Histoires de chambre noire de Günter Grass, ouvrage analysé par Dominique MOREL, p. 99